Un abrazo - Crépuscule d'un cycle - Jean-Marie Loison-Mochon

Un abrazo

“Go

Go to the mountain if you must

Go to the burning bush

If it would ease your troubled mind

I’ll be prepared to stay behind?

[…]

So disappear, vanish if you wish

I realized some time ago that I would have to let you go

May not be true to say that you’ll return one day”

HBMS, The truth

 

« Alors c’est ça, Agu ?

-Quoi c’est ça ?

-Je les vois bien tes yeux enfumés de colère, de tristesse, arrête.

-Dé quoi tu parles Jules ? Jé pars, c’est tout.

-Oui c’est c’que je dis : tu pars.

-Oui et je suis révenue, tout le temps.

-Je sais que tu mens, mais c’est pas grave. C’est avec ton groupe, que vous partez ?

-Il faut pas qué tu poses ces questions. Je pars, c’est tout.

-J’ai toujours su que tu partirais. J’savais aussi que ça me déchirerait. J’me suturerai, peut-être.

-Qu’est-ce qué tu dis comme bêtises… puisque je vais revenir.

-Moi, je crois qu’on ne se reverra jamais.

-Arrête ! C’est toi qui dis ça.

-Agu, arrête toi-même. A la façon dont tu me regardes, dont tes larmes parlent, dont tu m’étreins, je sais bien. Mène-moi en bateau maintenant si tu veux, mais s’il te plaît ne t’avise pas de m’appeler pour me dire qu’en fait j’avais raison. Que c’était la dernière fois aujourd’hui, que l’on s’étreignait.

-Jules…

-C’est amusant finalement, tout aura été une histoire d’étreintes.

-Jules…

-Mais si écoute. De toute façon, t’es clairement pas en état de parler, regarde-toi. Et plus j’te parle moins tu m’lâches ! J’ai toujours su que ça pouvait arriver, que tu partes. Que ce soit pour ton groupe ou parce que tes peurs, tes brûlures passées te feraient fuir. C’est mal de nier qu’on s’en va par peur. Mais toi tu peux dire que tu files faire ton devoir, vers ton devoir, avec ton groupe si mystérieux.

-Jules s’il te plaît arrê…

-Non. Puisque c’est la dernière fois…

-Mais c’est pas la der…

-Agu, s’il te plaît. Serre-moi encore si tu le veux. Je me souviendrai de ça. Prends de mon corps, pour quand tu auras peur encore, pour que quand il y aura d’autres hommes…

-Jules !

-… pour que quand il y aura d’autres hommes, ou la mort, tu n’aies pas peur. Prends ce que tu veux dans cette étreinte. Prélève Agu, prélève.

-…

-Tu vois que j’ai raison. Tu ne peux pas le dire, car faire une révolution à l’intérieur, ça demande encore plus de courage, et tout simplement de rage, que d’aller mener la révolte je ne sais où.

-Tu né sais rien.

-Si, j’ai tout essayé, pour que l’on s’atteigne. Mais tes brûlures, … contre un volcan comme moi, il était normal que tu aies peur de te brûler encore.

-Tu né sais pas ce qué c’était.

-J’aurais aimé. Ou je crois que je vais savoir. Tu me les passes tes brûlures, dans ces bras qui me serrent. Tu me contamines. Enfin ça, ça fait longtemps. Et toi qui m’appelais le volcan, ou me comparais à une drogue. Tu m’as pris pour une drogue douce. Moi pardon de te le dire, mais je ne t’ai pas sous-estimée. Je savais l’envergure, la portée du tir au loin en moi, du bout de ton fusil, du bout de tes yeux là maintenant.

-…

-Tu vois. Ça te prend tellement que tu ne peux plus parler ! A chaque fois tu revenais mais petit à petit, tu laissais ta peur me minorer, me mésestimer. Mais tu ne pouvais pas t’empêcher de revenir, car ces étreintes disent tout. Elles le disent mieux que tous tes silences noyés de larmes, que tous tes « je suis revenue tout le temps ». Je sais que tu ne reviendras pas. Pour te distancier, à chaque fois tu te convaincs que je ne suis pas ci, ou ça, que je n’ai pas la folie, ou que je ne suis qu’un fou esseulé. Agu, les fous se lient comme toi et moi, et vivent. Ils le vivent, ils la vivent cette intensité. Toi tu veux aller la brûler ailleurs, conjurer tes peurs par un acte de sacrifice plus grand que toi, que moi. Tu te sous-estimes, autant que tu me sous-estimes. J’espère que les autres hommes…

-Jules ! Para con los demas ! No hay, punto ![1]

-… ou la mort… te seront cette intensité que tu refuses de te donner, que tu te refuses à donner complètement. Dont tu attends pourtant des autres ou du monde, qu’ils te la donnent. Tu connais le si vis amari, ama ?

-Sí…

-Vois. Si tu veux être aimée, aime. Mais c’est risqué ! C’est risquer de se brûler. A commencer par t’aimer toi-même…

-Jules…

-D’accord, j’arrête là-dessus. Pour parler d’amour, il faut de la compréhension. Je l’ai cherchée, tu l’as désorientée. Nos corps se parlent et se comprennent, je ne vois pas comment tu pourrais le contredire. Pour nos paroles, par contre… mettons qu’il y a des brûlures, et des obstacles et… de l’incompréhension. Trop pour se dire si vis amari

-… no sé[2].

-On le sait. Mais tout aura été une histoire d’étreintes ! Regarde quand au début on se signait l’un l’autre nos messages d’un un abrazo.

-…

-Et cette fois-là, l’un des premières, pas loin de cette chaumière où il fallait que je te laisse car tu devais partir pour un de tes mystérieux voyages !

-Mystérieux… jé t’avais invité.

-Etrangement tu ne m’invites pas pour celui-là… car il semble sans retour.

-…

-Par cette étreinte-là, j’étais entré en fusion. De sentir ton corps se plaquer, m’enserrer, plus faible et petit que le mien mais capable, même si frêle, de me donner une puissance telle… tu sais que j’y suis retourné, sur la plage pas loin de cet endroit où l’on s’était quitté ?

-Comment ?

-Je pensais que tu ne reviendrais pas, alors j’avais envie d’aller caresser cet endroit où je t’ai connue, comme j’aurais pu caresser ta joue et ta fossette si particulière, ce surajout à ton sourire.

-Il existé pas en français, ce mot.

-Je sais. Je l’ai inventé pour toi. Je te l’offre, prends-le comme un cadeau pour ton départ. Moi je sais qu’il existe, il fait même un sillon à tes larmes…

Tu vois il faudrait que je parte, que je te laisse partir vers là où tu penses vouloir aller -mais le sais-tu ?- alors que… tu me retiens. Tes mains dans mes poches, Agu.

-…

-Ça me rappellerait cette fois d’il n’y a pas longtemps, encore une étreinte, et même deux. La première, longue, comme celle-là, à ne pas savoir se quitter. Ni toi ni moi on ne serait du genre à trancher. Ça m’arrangeait bien dans ces étreintes, je ne forçais pas mon talent. On avait réussi tout de même, et l’on était partis chacun de notre côté. Mais deux heures après tu m’écrivais pour que je vienne récupérer je ne sais plus quoi. Je ne sais plus, tellement la tension du désir était puissante en se retrouvant. C’est comme si tu avais voulu voir si je revenais, si tu le demandais. Et j’étais revenu, pas par faiblesse ou soumission, mais parce que je n’ai pas peur de me brûler. Et dans cette seconde étreinte de fin ce jour-là, tu aurais voulu me retenir encore pour l’après-midi. Tu étais prête à nous déshabiller. Tu le disais d’ailleurs de tes sous-vêtements, qui…

-Jules…

-Quand maintenant ce sont tes joues qui sont trempées.

-…

-Et voilà maintenant on y est, à cette étreinte-là. C’est ça, la fin. Tu ne diras rien car dès que la pensée t’effleure, tu sens comme ça te dévore. Tu vas me laisser faire, tu vas me laisser tirer mes propres conclusions, sans rien trop dire. Le tirer moi-même, ce coup de fusil.

-…

-Que peut-être tu ne pouvais pas te projeter, car il y avait autre chose. Que je te suis paru insuffisant, pas à la hauteur de te retenir, que… mais à quoi bon ? Je n’ai pas envie de conclure, Agu. Si tu veux partir, pars, quand bien même c’est ta peur qui t’emmène. Moi je n’ai rien à dire. Ce sont des zones en toi, inatteignables. Comme les ramifications d’un volcan.

-…

-Je vois que tu ne peux rien dire, n’essaie pas, ne t’inquiète pas. Je vois, je sens. Tout est là… Tu me serres, alors même que je suis prêt à te laisser partir. Ça me brûle déjà Agu.

-…

-Serre-moi encore, puisque tu le veux. Je m’en souviendrai.

Oui, brûle-moi encore un peu. »

 

 

[1] Arrête avec les autres. Il n’y en a pas, point !

[2] Je ne sais pas.

 

Jean-Marie Loison-Mochon

Crépuscule d’un cycle

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