L'électricité des poussières - Crépuscule d'un cycle - Jean-Marie Loison-Mochon

L’électricité des poussières

Si la ville le jour te lasse, je sais, que tu découvriras cet autre goût qu’elle laisse, la nuit. Tu n’auras pas à imaginer, à peine même à suivre alors : je sais la nuit, du moins… les nuits qui me serrèrent. Ainsi je pourrais t’emmener non loin, au travers de mes yeux, dans une ville dont tu ne connais encore rien. Suis mon corps d’encre, pour ce que cela vaut. Sors avec moi et sens, la morsure du froid à mon visage. Et le mouvement qui l’aggrave, comme si la nuit voulait agripper ces peu de peau que je lui offre. Sûrement pour cette seule et bien évidente raison : la peau est ce qui s’apparente le plus à la lune et autres étoiles. Elle émet de la chaleur, satellise des courants lumineux. Or la nuit s’allie au froid, pour entamer tout ce qu’elle peut de ces concurrences que nous faisons à ses lampions.

Me suis-tu ? A travers ces rues emmitouflées de volets, de lumières opacifiées, de mouvements intérieurs quand le mien rit d’érailler un peu les voies convenues. Nous sommes quelques-uns cela dit, à partir en éclaireurs dans le froid et la nuit : nous nous croisons, nous dépassons, dédaigneux de vitesse et de quoi que ce soit d’autre que… d’être passants.

Un courant à la nuit le long de la rivière. Voilà ce que je veux établir dans les pénombres, effréné et insouciant. Quatre yeux verdissent dans l’obscurité, les vois-tu ? Leurs bergers les tiennent en laisse, avec une corde et deux torches. Ma course les écarte, toutes les trajectoires ne sont pas faites pour se percuter. Parole d’étoile.

Et tout le noir autour s’ouvre à mes yeux. On dirait un couloir que le mouvement seul peut ouvrir. Mon mouvement sculpte la trajectoire. La vois-tu à travers mes yeux, mon encre noire ? On dit que les villes, bientôt, seront en perdition, que l’énergie les fuira, laissant les gens du jour dans l’inertie, craintifs de ne plus être à l’abri et du froid et de la nuit. Ma trajectoire est un chemin de paradoxes, de ponts impériaux, impérieux de leurs lumières. Et les péniches qui se rêvent bateaux, restaurant un genre de richesse qui embarque se divertir : dériver sur le courant, et n’être qu’un laisser-aller à l’abri du danger sur ces eaux… aménagées.

Passes-tu le long des passants maintenant ? Des pas sans impact dans leur dos, qui les surprennent. Ils sont en proie à ce que la nuit appelle de méfiance en eux. Mais tout est éclairé et balisé, quadrillé même de façon désordonnée. Alors la méfiance…

Là mes fiançailles avec les ombres. J’y reviens électrique, je traverse les ponts, j’établis des jonctions intérieures. Des jardins japonais se refusent à la nuit, me font écho à ceux de la ville à la rivière d’argent. Il y a des amalgamations d’une ville à l’autre, sache-le. De ce fait, même quand ton électricité ne connaîtra pas un centre ou des quartiers, il se pourrait qu’ils saupoudrent un peu de ton passé, pour que tu puisses t’en épousseter au présent.

La poussière de mon mouvement se veut… conductrice. Je reprends les matrices noires les longs des berges. Je ne ressens ni peur ni danger. Non par courage ou inconscience mais parce que je n’ai rien à craindre d’un environ qui me nourrit. D’ailleurs tu apprendras que l’insécurité nous vient plus d’autres êtres, en rien étrangers, que d’atmosphères inconnues. Je recoupe les quartiers, leurs lumières importunes. Je les aime, vides, cela dit et qu’elles finissent d’accueillir mes pas. Veux-tu me suivre encore ?

Mes regards s’étirent, je vais retrouver des étages et l’ampleur incertaine : la tension du désir, d’une soirée au sommeil maculé de conversations curieuses ou plutôt de curiosités conversant, du désir. Il y a des convergences électriques, sache-le. Elles te donneront envie de tout désapprendre, crois-moi, je ne peux que t’inviter à suivre cette injonction : car elle montera de toi comme moi à cet instant, qui frappe à la porte. La portance d’une nuit, elle peut s’établir à deux, comme par des ponts façonnés d’électricité. Cette convergence, en des rives et dédales peut cabrer, étinceler. Je ne comprends pas ceux qui disent pouvoir manquer d’énergie. On ne peut totalement manquer de soi-même. Alors quand en plus, une autre que soi s’électriserait tout près…

 

Jean-Marie Loison-Mochon

Crépuscule d’un cycle

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