Jour Un – Qui repose ici
Fragment. Jour Un – Qui repose ici
Des allées et des étendues vertes
Pour ceux-là, hâlés, mûrs pour la perte,
Qui ont fait des bris de cœurs aimants.
Etendus pour une éternité,
Ils ont fait la traversée d’eaux mortes,
Pour rallier l’étang-néant, aorte,
De ces âmes aux ors emportés.
Aux morts, Pest, pas avarde de ponts,
Leur a ouvert son Kerepesi :
Relié en artères tout du long,
Pour que soit moins austère l’oubli.
Reliure de bribes et mémoires,
Feuillue, fournie en Abandonnés,
Venus lire d’anciennes histoires.
Mus par une perte, certains, palpitants au bras, viennent palper un passé.
D’autres, comme moi, viennent fureter entre les immenses stèles, que celles d’anonymes côtoient. Grandiloquence de mausolées, dont certaines pour saluer la grande éloquence de figures hongroises, ou de combats menés.
Et puis, il y a ces autres, encore, ceux-là même qui prétendent gésir entre quatre planches.
Les artères, elles sont pour eux, j’en suis sûr. Pour qu’à la nuit venue, ces éternels dormeurs se lèvent et se rencontrent, histoire de se sentir moins seuls dans la fin, dans l’attente d’un visiteur, ou dans l’attente de je ne sais quel espoir exaucé. Kerepesi[1], dis-moi, qu’est-ce qu’espèrent les morts ?
Mon fantôme à moi, il ne se trompe pas quant à savoir qui marche en ces lieux : il n’a pas franchi le pas du portail. Se sentant soit indigne car spectre seulement d’une image, d’un sentiment, soit qu’il me hante de quelqu’un qui vit encore. Ou ! Peut-être se dit-il qu’il n’est pas dupe : que je ne le piègerai pas dans un cimetière. Ou ! Qu’il a déjà son propre cimetière, qui m’est intérieur.
Une tombe m’interpelle : Blaha Luuza. Courbé de douleur et d’inspiration sur sa lyre, un bonhomme barbu me fait un clin d’œil.
Jour-Un. Un poète qui cause à un écrivaillon : début d’une Perspective-Est à composer, de contrées à explorer. Providence.
Mais d’où provient-elle, cette poussière claire ?
Quelle est cette danse, qui nous entraîne à faire ?
[1] Cimetière de Pest, parfois comparé au Père-Lachaise.
Jean-Marie Loison-Mochon
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