A la fabrique
Est-ce qu’après ce soir, tu rougiras encore ? Est-ce que tes fossettes se plisseront toujours, accompagnant le grain de beauté à ta lèvre, dans le mouvement d’un sourire ? Tiens. Je n’y avais jamais pensé, qu’en effet le sourire est un mouvement. Mais réponds-moi !
Est-ce que cette petite plissure de gêne, du plaisir d’être regardée, te restera ? Tes lèvres et fossettes, conjuguées à la pression de tes yeux verts qui s’abaissent d’une fuite des miens, c’est comme s’ils faisaient pression, par le bas, par le haut, sur les vaisseaux irriguant tes joues. Et tu rougis.
De là où j’y pense, d’où je te regarde, l’Odet irrigue ainsi ce dédale de ramifications, de chemins qui n’en sont plus. C’est amusant au fond, que tu m’aies donné rendez-vous ici en bord de route, pour s’en aller chercher le trésor perdu d’un monticule… de briques.
Un début d’errance dans les ronces, après des briques. Des bruits courent encore, de voitures, mais peu à peu leur rumeur se tait.
Il y a quelques années, ce terrain tu l’as déjà vu, fréquenté, abordé, piraté, pour le virus de la brique. Mais depuis, l’achat, la vente, la chasse à la propriété, l’ont clos. Et la nature ne s’en est que davantage refermée dessus. N’est-ce pas ridicule, d’interdire l’accès à des ruines ? La propriété, c’est le plaisir d’interdire. Je te suis dans les bois. Moi je ne veux pas te posséder mais te faire rougir. De plaisir s’il le faut, d’accord, mais de désir déjà. Tu me suis dans les bois. L’ancienne fabrique est écroulée, effondrée sûrement de ne plus être, ou de ne plus être libre d’être visitée par le moindre passant. Car, qui a dit que les architecture n’avaient pas de poésie ? Ceux qui ont le plaisir d’interdire, peut-être.
Un passant, dans la cendre de ce que j’étais
Mettrait de la tendresse, dans l’attente que je renaisse
Est-ce que ce soir nous rougirons encore ? D’éraflures et d’épines incrustées, possible. Elles me chatouillent entre deux ruines, paisibles si l’on veut. La mort est un si long vœu. Nous, les parcourons à l’inverse, animés de pulsion de vie : le désir. Entre deux ronces, entre deux murs de briques, nous nous fabriquons des « si ». Plus d’une fois je me dis « et si ? ». Et si je te déshabillais ici ? Oui mais après, rougiras-tu encore ?
Je veux continuer encore cette recherche, cette attente. Le désir est la recherche de l’attente, autant qu’il est le rejet de l’attente. Je te suis dans les ruines où nous escaladons des briques, des poutres noircies de goudron. De dire qu’elles ont le goût de la plume, je ne saurais pas ce que ça veut dire. La honte peut-être, de n’être plus, ou de n’être plus visitées. Alors elles rougissent, encore un peu. Rougiras-tu encore après ce soir ?
A la recherche d’une montagne de briques en bord d’Odet, j’ai le corps au bord des vêtements en t’effleurant. Pas à pas nous nous fabriquons cette autre recherche, intérieure. Avancer la densifie au lieu de l’éclaircir, comme ces chemins qui n’en sont plus. Je guette le monticule rouge, tu me l’as décrit comme une cité de rebuts, un agglomérat d’inutile enchanté.
Les commérages de la route sont loin, les marécages de l’Odet, moins. Nous devrions approcher. Des clairières resquillent dans les murs de branches et de ronces, nous entaillons le mot « propriété ». Il y a « propre » dans ce mot, or nous serons bientôt en haillons. Et si ?
Corps collé contre corps, on se fabrique ici encore un peu plus, la nuit. Nous nous titillons les jambes du plaisir des ronces, nous explorons l’errance du désir, de la répétition de la recherche, de l’énumération des virgules virulentes dans nos peaux. Dans nos pas, s’ancrent les ronces mais surtout l’instant. Ne sommes-nous pas en instance l’un de l’autre ?
L’exploration bat son plein, nous sommes si proches ! Et si ?
Et si dans l’instant nous la trouvions, cette montagne de briques. L’aurons-nous trouvée, ou devrons-nous revenir ? Le désir est ce quelque chose de ce qui ne s’atteint pas. Parfois, oui. Parfois pas.
J’invoque du rouge à tes joues, comme un rite pour la faire apparaître : je l’invite à paraître, nourri du désir de la voir, de ce que ta voix m’en a dit. Les chemins ne sont plus, devrons-nous revenir ? Je voudrais voir ce trésor de rebuts, le voir surgir tout à coup, comme l’agglomérat merveilleux que tu m’as décrit. En rouge à tes joues, il s’écrit quelque chose, là dans l’agglomération de tes vaisseaux.
Ta frange, les ronces, le grain qui nous guette là-haut, la beauté du point noir à ta lèvre, la propriété que l’on dérange, ton front sous ta frange, ma main qui la soulève et sous tes lèvres tes dents, que ta langue caresse dans l’attente. Et si ?
Le désir est comme cette montagne de briques, un agglomérat de bien petites choses. Les ruines d’un million de traits, fabriquant l’architecture d’un après. Est-ce qu’après ce soir, tu rougiras encore ?
Jean-Marie Loison-Mochon
Crépuscule d’un cycle