A l e g r i a - Crépuscule d'un cycle - Jean-Marie Loison-Mochon

A l e g r i a

Au soir dans la baie, à s’asseoir sur ces rochers

L’appel du dernier rappel, d’un crochet dans le couchant

Enduit de noir je te désire, comme d’un instant décoché

Grenier de rayons, j’y lape les traits de ton visage

Réduit au plus pur état : l’étincelle du désir

Il y a dans le grain du vent, la nuit qui appelle

A ta lèvre un même gréement, le noir qui embellit

 

A la beauté d’un point dans tes traits, dans l’instant. L’instinct nous a portés ici à l’orée de deux bras de terre, enlaçant un océan d’horizons. Et ce soir enfin tu me montreras tes traits, je les porterai comme une main sous ton visage. Grain d’horizon, de sable et de sel, grain doré dans l’horizon.

Reste qu’avant de te mettre à nue, tu t’en remets à mon drapeau, à l’appel que j’y ai laissé dans la peau de quelques pages. Il y a quelque part un écho, la part d’ombre décochée, des collages et superpositions, noirs comme un café, noir comme un drapeau. A tes lèvres je m’entends, tes lèvres m’ont lu, intérieurement.

 

Au large elles m’ont lu mais là je…

Là maintenant je voudrais faire un écart dans tes cheveux

Et maintenir tes pages, du bout de ma chemise

Grisée, ma main tenant tes plages de traits

Revenir à ce moment tant attendu, dont je suis à jeun

Inconnue, quand tu t’es mise à la page d’un drap

Ajourant ton nu comme un désert blanc sous la nuit

 

Alors au désir de te voir nue je veux revenir, car ce n’est pas le même désir, et ces déserts que tu gardes allá… Les voir s’iriser dans la pudeur de tes mots, dans la brise écumant les dessins de l’horizon. En nuit son dessein est d’aller, à l’horizon. Griffonner quelques phrases en écho à celle-là qui disait : je vais chercher le soleil. Regarde-le qui chatouille tes traits, ils rougissent comme lui dans les ruelles de veines, de rayons encâblés à des architectures plus anciennes. Il y a de l’imparable au loin, des champs de possibles et de paraboles dans ce lointain que je maintiens du bout de ma chemise, au bout de mes mains. Au bout de mes veines, de tes doigts, un pays nôtre dont j’ai trouvé le nom.

 

A l’ombre pas encore, tu éclaires de mots malgré tout

Les moments ombragés, éclaircis d’enfants fous de ta venue

Ecumant l’écart de culture, par des couleurs que tu leur donnais

Gare d’ailleurs au port que tu reverrais d’un toit

Réagençant tes regards comme des réverbères rieurs

Images s’immisçant, superposition de lenteurs et perceptions

Au loin là-bas, dans l’algèbre ruisselant de câbles nourriciers

 

Aux ramifications citadines, le soleil ici fait des compliments de courbures. Les encablures de rayons magnifient les recoins de la baie, les regards n’ont pas besoin de superlatifs. Encablures réagencées à chaque instant, dans des instances de fin, dans des câbleries modernes sur de très anciens bâtiments. Gorge de l’horizon, qu’en des pays il ne faudrait surtout pas montrer, car la honte est habit, car la femme est un horizon. Regard d’un seul œil dans la baie, dans un linceul hébété de crépuscule et d’océan. Il y a des visages lointains, des formes indicibles, des blancheurs qui aux regards se veulent des présages invisibles. A ma main pourtant, je sens la portance de tes traits qui, sans s’immiscer, ont su ramener quelque chose de la gare d’allá.

 

Algèbre du couchant, allégeant ses lueurs

Repos de l’argile du jour, du doux chant de tes mots sur tes traits

Grain de beauté, à tes lèvres alléchantes

En une agilité joueuse de désir, je voudrais…

L’égrener comme mes mains les vagues de tes traits

Incruster, au gré nouveau de la nuit, le noir qui court

Au gré des mots qui s’en retournent à ce puits

 

Argile, Argelia, alegría : il y a des câbles de mots, désordre de trop, de trop peu de temps dans tes traits. Regain de torpeur, celle du noir de la nuit : du désir dans le grain trompeur à ta lèvre. Gommé comme en rêve par l’obscurité d’un crépuscule naissant, d’un puits de rayons revenant à l’eau. Encablures de rayons, des câbles au crayon, ce puits se veut néant d’où tout peut naître. Là ce soir dans la baie, à la fenêtre de tes regards tu m’as invité, abaissant la carte d’un autre nu, d’un autre pays : alegría encore. Il y a dans la baie ce soir, le baiser noirci d’un grain de quelque chose, de tus labios. A la nuit nos yeux se sont fermés, reformant ailleurs tes regards d’allá.

 

Jean-Marie Loison-Mochon

Crépuscule d’un cycle

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