A l e g r i a
Au soir dans la baie, à s’asseoir sur ces rochers
L’appel du dernier rappel, d’un crochet dans le couchant
Enduit de noir je te désire, comme d’un instant décoché
Grenier de rayons, j’y lape les traits de ton visage
Réduit au plus pur état : l’étincelle du désir
Il y a dans le grain du vent, la nuit qui appelle
A ta lèvre un même gréement, le noir qui embellit
A la beauté d’un point dans tes traits, dans l’instant. L’instinct nous a portés ici à l’orée de deux bras de terre, enlaçant un océan d’horizons. Et ce soir enfin tu me montreras tes traits, je les porterai comme une main sous ton visage. Grain d’horizon, de sable et de sel, grain doré dans l’horizon.
Reste qu’avant de te mettre à nue, tu t’en remets à mon drapeau, à l’appel que j’y ai laissé dans la peau de quelques pages. Il y a quelque part un écho, la part d’ombre décochée, des collages et superpositions, noirs comme un café, noir comme un drapeau. A tes lèvres je m’entends, tes lèvres m’ont lu, intérieurement.
Au large elles m’ont lu mais là je…
Là maintenant je voudrais faire un écart dans tes cheveux
Et maintenir tes pages, du bout de ma chemise
Grisée, ma main tenant tes plages de traits
Revenir à ce moment tant attendu, dont je suis à jeun
Inconnue, quand tu t’es mise à la page d’un drap
Ajourant ton nu comme un désert blanc sous la nuit
Alors au désir de te voir nue je veux revenir, car ce n’est pas le même désir, et ces déserts que tu gardes allá… Les voir s’iriser dans la pudeur de tes mots, dans la brise écumant les dessins de l’horizon. En nuit son dessein est d’aller, à l’horizon. Griffonner quelques phrases en écho à celle-là qui disait : je vais chercher le soleil. Regarde-le qui chatouille tes traits, ils rougissent comme lui dans les ruelles de veines, de rayons encâblés à des architectures plus anciennes. Il y a de l’imparable au loin, des champs de possibles et de paraboles dans ce lointain que je maintiens du bout de ma chemise, au bout de mes mains. Au bout de mes veines, de tes doigts, un pays nôtre dont j’ai trouvé le nom.
A l’ombre pas encore, tu éclaires de mots malgré tout
Les moments ombragés, éclaircis d’enfants fous de ta venue
Ecumant l’écart de culture, par des couleurs que tu leur donnais
Gare d’ailleurs au port que tu reverrais d’un toit
Réagençant tes regards comme des réverbères rieurs
Images s’immisçant, superposition de lenteurs et perceptions
Au loin là-bas, dans l’algèbre ruisselant de câbles nourriciers
Aux ramifications citadines, le soleil ici fait des compliments de courbures. Les encablures de rayons magnifient les recoins de la baie, les regards n’ont pas besoin de superlatifs. Encablures réagencées à chaque instant, dans des instances de fin, dans des câbleries modernes sur de très anciens bâtiments. Gorge de l’horizon, qu’en des pays il ne faudrait surtout pas montrer, car la honte est habit, car la femme est un horizon. Regard d’un seul œil dans la baie, dans un linceul hébété de crépuscule et d’océan. Il y a des visages lointains, des formes indicibles, des blancheurs qui aux regards se veulent des présages invisibles. A ma main pourtant, je sens la portance de tes traits qui, sans s’immiscer, ont su ramener quelque chose de la gare d’allá.
Algèbre du couchant, allégeant ses lueurs
Repos de l’argile du jour, du doux chant de tes mots sur tes traits
Grain de beauté, à tes lèvres alléchantes
En une agilité joueuse de désir, je voudrais…
L’égrener comme mes mains les vagues de tes traits
Incruster, au gré nouveau de la nuit, le noir qui court
Au gré des mots qui s’en retournent à ce puits
Argile, Argelia, alegría : il y a des câbles de mots, désordre de trop, de trop peu de temps dans tes traits. Regain de torpeur, celle du noir de la nuit : du désir dans le grain trompeur à ta lèvre. Gommé comme en rêve par l’obscurité d’un crépuscule naissant, d’un puits de rayons revenant à l’eau. Encablures de rayons, des câbles au crayon, ce puits se veut néant d’où tout peut naître. Là ce soir dans la baie, à la fenêtre de tes regards tu m’as invité, abaissant la carte d’un autre nu, d’un autre pays : alegría encore. Il y a dans la baie ce soir, le baiser noirci d’un grain de quelque chose, de tus labios. A la nuit nos yeux se sont fermés, reformant ailleurs tes regards d’allá.
Jean-Marie Loison-Mochon
Crépuscule d’un cycle